vendredi 20 janvier 2017

Vaisseau du désert

Egypte, 19 janvier   6h30

Il fait encore nuit. Un brouillard à ne pas voir à deux containers devant soi prolonge l'obscurité que le soleil devrait commencer à dissiper à cette heure de la matinée. Un demi-disque orangé émerge tout de même pendant quelques secondes, aussitôt avalé par le brouillard qui redouble d'intensité !
Le navire avance très doucement. Sur les côtés de la passerelle, ce n'est pas le gris-bleu de la mer que l'on devine, mais du sable gris-doré très doucement ondulé. Le Benjamin Franklin glisse au milieu du désert : nous sommes bien sur le canal de Suez !
Deux gros messieurs sérieux, d'une soixantaine d'années, ont pris possession de la passerelle, de ses instruments de navigation, de son coin café et de son frigidaire. Les pilotes sont montés cette nuit vers 3h, au large de Port-Said, pour guider le navire aux côtés du capitaine pendant les douze heures du passage du canal. 
Pendant plusieurs heures, le brouillard hésitant nous laisser deviner quelques têtes de palmiers, un mur qui semble ininterrompu le long du canal, des petites guérites de surveillance, beaucoup de vagues installations militaires, des dunes raides du côté Sinaï, sans doute vestiges des déblais du creusement, quelques maisons isolées en toit terrasse qui, se multipliant, finissent par former une petite ville ...
La chaleur du soleil finit par écarter plus durablement les bancs de brouillard au sol sans toutefois nous accorder une bonne visibilité. Nous avançons en convoi d'une vingtaine de cargos. Seuls celui qui nous précède et celui qui nous suit se laissent apercevoir. Lorsque les deux canaux de montée et de descente sont assez proches, nous pouvons voir le convoi qui nous croise, chaque cargo suivant l'autre à la distance respectable de quatre à cinq milles.
Beaucoup plus nombreuses que les cargos sont les barques de pêcheurs, qui ne cessent de poser et  remonter leurs filets parallèlement à la trajectoire des convois ! On les voit ramer vigoureusement à l'approche de chaque navire pour s'écarter de l'étrave ! La coexistence de barques à la forme séculaire et de porte-containers à la dimension inhumaine dans un canal hautement sécurisé a quelque chose d'irréel !
Il est presque midi lorsqu'enfin les nuages se déchirent véritablement. Sous un soleil éblouissant, au milieu du Great Bitter Lake, se croisent les deux convois dont on voit maintenant quatre cargos en amont et en aval, à une distance d'environ 20 km !
Puis, on retrouve une partie canalisée à sens unique, dont les berges, entretenues très régulièrement, sont partout en sable aride. Au-delà, du côté Est, c'est vraiment le désert du Sinaï, avec quelques oasis vertes qui émergent ça et là. À l'ouest, au contraire, le vert domine, des palmeraies et des cultures entourant de petits hameaux ; des bandes de sable subsistent tout de même là où l'eau est trop profonde et où vraisemblablement elle n'est pas pompée par l'homme. 
En début d'après-midi, c'est l'arrivée à Suez ! Cette ville du fond du golfe a l'air d'être absorbée par la gestion de son canal et l'organisation du passage des navires. Mais l'économie potentielle de ces millions de tonnes de marchandises transportées n'a apparemment pas inspiré les égyptiens. On ne retrouve pas l'activité portuaire et les riches buildings des armateurs, assureurs et autres métiers maritimes que l'on a pu observer l'année dernière à Panamá !
Hier soir, le cap'tain est venu me trouver et m'a dit : "Tomorrow, no camera ! The Suez Canal is a military area !"
Pierrette me dit alors : "Pour illustrer ton blog, j'aurai ce qu'il te faut !"




1 commentaire:

  1. Bravo Pierrette pour les dessins! L'ambiance un peu étrange créée par le brouillard d'où émergent containers,barques de pêcheurs, palmiers et berges fantomatiques ... tout ceci est fort bien restitué! Bravo pour votre blog, dont la lecture est tout à fait passionnante!

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