vendredi 13 janvier 2017

La passerelle

On est bien sur la passerelle !
C'est un très vaste espace, tout en vitres sur 180° ; le sol et le plafond sont insonorisés, aux tons reposants. Rien n'agresse les sens. La mer et les instruments de navigation y sont mis en scène avec art.


On s'y déplace tellement silencieusement que l'on sursaute parfois lorsque l'on sent une présence se rapprocher. Il n'y a pas d'éclairage central, seulement ça et là, de très faibles petites lampes de bureau à proximité des instruments, pour lire un papier à côté de l'écran. Le rythme des jours et des nuits n'y est absolument pas perturbé. En ce début janvier, il y fait très longtemps sombre. 
Lorsque l'on accède à la passerelle par le petit escalier intérieur la nuit, en venant des couloirs encombrés de ronronnements de moteurs et de ventilation, on attend un "good evening" étouffé nous accueillir, dans un arrière-fond sonore plus proche de celui d'une église que de celui mécanisé d'un bateau. Nos yeux aveuglés mettent de longues minutes avant de distinguer les ombres qui se meuvent sans bruit dans la grande pièce. 

Les voix sont proches du chuchotement. Transmissions de consignes, réflexions, sont échangées sur un ton calme. La plupart du temps, l'officier de quart intervient sans bruit sur ses instruments, clique sur l'écran radar pour connaître les caractéristiques d'un navire dont on se rapproche, modifie le cap de quelques degrés sur la commande du pilote automatique...
La parole est rare. Même lorsque les discussions quittent le domaine professionnel, les sourires, les rires parfois, se fondent dans la tonalité générale permanente de sérieux et de vigilance ; rapides mouvements de tête, regard balayant les cadrans et les écrans, observation aux jumelles ...

L'arrière de la passerelle est séparé par un rideau sombre que l'on tire la nuit venue : c'est l'emplacement des tables à cartes et des livres de bord, qui nécessitent un éclairage même minime pour pouvoir travailler. C'est là que, en plus des calculs des multiples instruments électroniques, GPS, radars, etc ... ,sont reportés au crayon et à la règle de Cras les points sur les cartes marines en papier !

Sur le devant, la mer ! Tout est fait pour qu'on ne voie qu'elle ! Elle pénètre littéralement dans la passerelle ! On croit la toucher, alors que le gigantisme du navire nous maintient à 40m au-dessus d'elle et que les containers nous la cachent sur 500m devant nous ! 
La plupart du temps, nous sommes entourés de quelques bateaux sur ces routes commerciales fréquentées ; ils nous croisent quelques minutes ou nous accompagnent quelques heures. Très rarement, un phare ou une côte se laissent apercevoir, mais notre route est le plus souvent très au large. 

L'ensemble du navire est éclairé en permanence à la lumière électrique blanche et hygiénique ; les petits sabords sont pour la plupart obstrués par des containers (sauf notre cabine et notre salon !). Des moteurs, des pompes, des ventilations, y entretiennent un fort bruit de fond qui nous enveloppe jour et nuit. Et depuis presque deux semaines, nous ne sommes quasiment pas sortis du Benjamin Franklin.
Tout cela nous rapproche de la condition que j'imagine être celle des sous-mariniers. 
La passerelle devient dès lors pour nous notre salon, notre théâtre, notre promenade, où nous passons de longues heures ; le salon du capitaine Nemo, avec ses tentures et ses grandes baies sur (sous) la mer, n'est pas loin !

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