Désert

18 janvier 160 milles avant Port-Said

Personne ! Il n'y a personne sur la mer ! Nous sommes sur la route directe entre Malte et le canal de Suez ! Et il n'y a pas plus de navires que de pèlerins sur le chemin de Jérusalem !

Ni à l'œil nu, ni aux jumelles ; et le radar reste désespérément vide !

Pourtant, la mer est belle ! Ils pourraient en profiter !

Depuis Hambourg, le navire emprunte des routes commerciales réputées très fréquentées, dont des passages obligés relativement étroits, bien connus : le Pas-de-Calais, le rail d'Ouessant, le rail du Finisterre, le détroit de Gibraltar. Je m'imaginais dans ces passages être entouré de navires, découvrir des embouteillages à l'échelle de ces monstres navals, avec une densité les rendant quasiment impossible à traverser lorsque l'on est un petit voilier !

Ce n'est pas la réalité, en tout cas pas à cette saison ! Bien sûr, le Benjamin Franklin n'était pas seul dans ces passages : dans un rayon de 20 milles autour de nous, 4 ou 5 navires se partagent la place en permanence sur l'écran radar. Les caps des uns et des autres s'ajustent en douceur pour se croiser ou se dépasser très calmement ! Mais à nos yeux, cela n'occupe pas réellement la mer ! Un éventuel voilier pourrait aisément couper notre route, avec vigilance certes (le Benjamin Franklin met 5 milles à s'arrêter totalement, et les containers lui cachent 500 m de mer devant la passerelle, mieux vaut passer derrière !), mais sans difficulté majeure. 

Sortis de ces passages étroits, les routes du Golfe de Gascogne et le long de l'Espagne et du Portugal, sont encore moins fréquentées pour devenir comme aujourd'hui en Méditerranée quasiment désertes !

Et pourtant, le Benjamin Franklin ne cherche pas à finasser : il prend un cap absolument direct entre deux points distants de 500 ou 1000 milles, qu'il suit pendant plusieurs jours ! Il finasse d'autant moins qu'il cherche à combler un important retard accumulé en Europe ! Il est donc sur la route la plus courte entre l'Europe du Nord et l'Extrême Orient, une des routes les plus fréquentées au monde !

C'est la partie reposante du voyage, nous disent les officiers. En Mer de Chine, la navigation est angoissante. Il y a des bateaux partout, de toutes tailles, qui naviguent dans tous les sens, ignorant totalement le code maritime !

Nous ne serons plus là pour le raconter !